Le questionnement

Lorsqu’un élève pose une question à Marie-Hélène, enseignante de mathématique, celle-ci lui répond par une, deux, dix questions jusqu’à ce que l’élève arrive lui-même à la réponse.

Après la rédaction d’une dictée en classe de français, Geneviève alloue 10 minutes aux élèves pour poser des questions qui leur permettent de s’autocorriger. Elle profite de ce moment pour les guider dans la formulation des questions.

En devoir de chimie, Cynthia propose le visionnement d’une vidéo dans laquelle elle expose la résolution d’une situation-problème. La tâche demandée à l’élève est d’écrire les questions qu’elle s’est posées lors de la résolution.

Dans ses classes d’anglais, Manon a mis en place un système de récompense des bonnes questions. Gabrielle organise des cercles de lecture en classe dans lesquels chaque question doit être relancée par une nouvelle question.

Chers enseignants, quelle place a le questionnement dans votre classe? Qui pose les questions? Qui y répond?

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Pourquoi s’intéresser au questionnement en classe?

Selon une étude menée par le site marchand britannique Littlewoods, les enfants âgés de 2 à 10 ans posent en moyenne 300 questions par jour. La palme revient aux petites filles de 4 ans avec 390 questions posées par jour! Pablo Picasso disait : « Dans chaque enfant il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant. » Nous pourrions également nous questionner sur la raréfaction des questions avec l’avancée en âge. Comment se fait-il qu’un enfant arrête de poser des questions? Malheureusement, dans notre culture, ne pas savoir est considéré comme une faute et poser une question est la preuve de ce manque de connaissance.

Questionner implique pourtant une volonté de savoir plus, donc démontre une certaine curiosité intellectuelle. Voltaire ne conseillait-il pas de « juger un homme par ses questions plutôt que par ses réponses »? De son côté, Einstein disait que s’il disposait d’une heure pour résoudre un problème, il passerait les 55 premières minutes à s’assurer de répondre à la bonne question.

La compétence du questionnement est également une composante importante de la créativité et de l’esprit critique dont l’importance pour les adultes de demain n’est plus à démontrer. La créativité, qui consiste à remettre en cause les façons de faire ou les solutions actuelles, passe dans un premier temps par le questionnement : Pourquoi faisons-nous de telle façon? Il s’avère en effet que cette compétence est l’un des quatre dénominateurs communs des génies de l’innovation. Les inventions de notre monde sont d’ailleurs toutes issues d’une question.

D’autre part, l’esprit critique commence par vouloir vérifier la véracité de l’information qu’on reçoit. Et pour cela, à nouveau, il faut questionner. Si personne n’avait jamais questionné la platitude de la Terre, aurions-nous découvert qu’elle était ronde?

Finalement, à l’heure où l’information est accessible de partout et sur tous les sujets, doit-on continuer à enseigner des réponses? Ne doit-on pas plutôt enseigner à poser des questions?

Notre monde est entré dans une phase d’évolution constante. Si hier, nous formions des élèves à un métier et un savoir-faire qu’ils utiliseraient toute leur vie, ce n’est plus vrai aujourd’hui. Les élèves que nous avons maintenant en classe vont devoir se remettre en cause et continuellement acquérir de nouvelles compétences tout au long de leur vie. Par conséquent, ils devront être curieux.

Pour toutes ces raisons, il est donc important de poser des questions et, plus encore, de savoir comment les poser correctement.

Que se passe-t-il dans mon cerveau lorsqu’on me pose une question qui m’intéresse?

Une équipe de neuroscientifiques du centre UC Davis (Californie) a voulu comprendre les effets de la curiosité sur le cerveau. Les résultats de leurs recherches sont les suivants :

  • La curiosité provoque une hausse de l’activité dans l’hippocampe (responsable de la mémorisation) et dans le mésencéphale (responsable de la motivation);
  • En anticipation de la réponse à une question qui nous intéresse, le cerveau prépare la production de dopamine qui sera livrée en « récompense »;
  • Puisque la dopamine permet la synthèse de protéines dans l’hippocampe, la mémorisation de la réponse est meilleure;
  • Plus la question posée génère de curiosité, mieux l’information est mémorisée;
  • Dans cet état de « forte curiosité », ils ont de plus noté que des informations non significatives et sans lien avec la question étaient également mieux mémorisées.

En d’autres termes, la curiosité permet de mieux mémoriser n’importe quel type d’informations.

Selon David Hackett Fischer, auteur récompensé par le prix Pulitzer, « le questionnement est le moteur de l’intellect – une machine cérébrale qui convertit la curiosité en une enquête maîtrisée. »

Comme toute compétence intellectuelle, elle se développe par l’expérience ou disparaît au cours de l’élagage neuronal si elle n’est pas utilisée. Alors, comment maintenir et développer cette compétence à l’école?
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Les questions en éducation

Bien que le questionnement soit une compétence de l’élève reconnue comme importante par les enseignants, il n’est pas encouragé ni enseigné à l’école. En effet, laisser les élèves libres de poser des questions sous-entend :

  • La non-maîtrise du temps de classe et du contenu du cours;
  • Le risque, pour l’enseignant, de ne pas connaître la réponse et de devoir admettre son ignorance devant sa classe.

Pour l’élève, poser une question devant toute la classe peut le laisser paraître stupide ou exagérément intéressé. Et poser une question qui remettrait en cause l’information donnée par le professeur le ferait passer pour arrogant ou effronté.

Quand on y pense, l’école s’applique d’ailleurs à répondre à beaucoup de questions que les enfants n’ont pas encore posées… Cela pourrait-il éteindre leur curiosité?

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Par ailleurs, l’école a tendance à passer aux élèves le message que chaque question a sa réponse unique. En demandant à ses élèves de toujours remettre en cause les informations qu’ils recevaient, la pédagogue Deborah Meier a, en ce sens, révolutionné l’éducation!

Situation paradoxale que celle de la classe où celui qui sait interroge celui qui ne sait pas.

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Selon Jean-Pierre Astolfi, le questionnement fait partie de la pédagogie, mais reste trop souvent stressant. Il devrait permettre d’approfondir les observations plutôt que de suivre un plan tracé par l’enseignant. Le questionnement, tel qu’il est pratiqué à l’école, est différent de celui expérimenté dans la vraie vie : entre amis, le questionnement n’a pour but que le partage d’idées, d’information ou du ressenti. À l’école, le questionnement a un but d’évaluation informelle. L’élève répond donc à une attente du professeur plutôt qu’à une problématique. Le questionnement scolaire peut avoir différents objectifs cachés, qui ne sont pas toujours exprimés clairement aux élèves. L’auteur de l’article fait le lien entre les niveaux définis dans la taxonomie de Benjamin Bloom et le questionnement : une question devrait permettre aussi bien de tester l’acquisition d’une connaissance que de développer l’esprit critique et la créativité.

La taxonomie mise en place par Bloom est composée de six niveaux : la connaissance, la compréhension, l’application, l’analyse, la synthèse et l’évaluation. Une étude menée par Maryrose B. Caulfield-Sloan et Mary F. Ruzicka en 2005 a démontré une corrélation entre l’utilisation répétée de questions d’un niveau plus élevé et de meilleurs résultats aux tests scolaires standardisés.

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Méthodologie pour développer la compétence de questionnement chez l’élève

Comment développer la compétence de questionner chez les élèves?

Le Right Question Institute (RQI) a développé en 10 ans une méthode intitulée « Question Formulation Technique » (QFT), utilisée dans de nombreuses écoles aux États-Unis de la maternelle au collégial.

Par petits groupes, les élèves listent les questions qui les intéressent sur un sujet donné par l’enseignant. Par ce procédé, ils s’approprient les questions et sont motivés à en connaître les réponses.

Les étapes du QFT :

  1. Rappeler les règles :
    • Formuler le plus de questions possible;
    • Ne pas discuter, juger ou répondre aux questions;
    • Écrire les questions exactement de la manière dont elles ont été formulées;
    • Changer tous les constats en questions.
  2. Introduire l’information qui sera étudiée :
    • L’information peut être un constat, une image ou une vidéo en lien avec le contenu à étudier;
    • Trois règles pour définir le constat :
      • Il ne peut pas être formulé sous la forme d’une question;
      • Le plus simple est le mieux;
      • Il doit susciter de nombreuses questions.
  3. Laisser les élèves formuler des questions avec leur groupe;
  4. Améliorer les questions (en profiter pour rappeler l’intérêt de chaque type) :
    • Identifier les questions fermées et les questions ouvertes;
    • Changer une question ouverte en question fermée;
    • Changer une question fermée en question ouverte.
  5. Prioriser les questions : laisser les élèves choisir trois questions prioritaires auxquelles ils veulent une réponse. Demander aux élèves d’expliquer pourquoi ils ont choisi ces questions;
  6. Expliquer comment seront traitées les questions sélectionnées;
  7. Laisser chaque élève réfléchir sur le processus : choisir une question et expliquer pourquoi il souhaite répondre à celle-ci en particulier ou bien ce qu’il a appris pendant le processus. Exemples d’applications en vidéo :

En conclusion, il est important de donner une place importante au questionnement en classe. Pour ce faire, quelques conseils :

      • Susciter la curiosité des élèves régulièrement pendant la classe par des questions qui les intéressent;
      • Développer des tâches qui amènent les élèves à poser des questions;
      • Développer une culture de classe qui valorise les questions (comme le dit Paul Bennett, directeur de la création chez IDEO, « se sentir à l’aise avec le sentiment de ne pas savoir est la première pierre de la capacité à poser des questions »);
      • Attendre des questions de la part des élèves (et le faire savoir);
      • Encourager l’interaction entre les élèves en classe ou en dehors;
      • Mettre en place des stratégies de questionnement à différents niveaux de la taxonomie de Bloom;
      • Encourager la curiosité;
      • Développer la compétence de questionnement par la méthode du QFT;
      • Et le plus important : accepter de ne pas avoir toutes les réponses!

Vous avez des questions?

Sources

Astolfi, J.-P. (2008). Le questionnement pédagogique. Économie et Management. Article repéré sur le site du Centre national de documentation pédagogique.

Berger, W. (2014). A More Beautiful Question: The Power of Inquiry to Spark Breakthrough Ideas. 1re édition, Bloomsbury USA, 272 p.

Caulfield-Sloan, M. B.; Ruzicka, M. F. (2005). The Effect of Teachers’ Staff Development in the Use of Higher-Order Questioning Strategies on Third Grade Students’ Rubric Science Assessment Performance. Étude repérée sur le site du Eric Institute of Education Sciences.

Christensen, C.; Dyer, J.; Gregersen, H. (2013). The Innovator’s DNA. Article repéré sur le site de Harvard Business Review.

Gruber, M. J. (2015). This is your Brain on Curiosity. TED Talk. Repéré sur YouTube.

Gruber, M. J; Gelman B. D.; Ranganath C. (2014). States of Curiosity Modulate Hippocampus-Dependent Learning via the Dopaminergic Circuit. 84 (2),486-496. Repéré sur le site Neuron.

Learning Heroes (2014). The Power of Effective Questioning. Repéré sur YouTube.

Right Question Institute(RQI), organisme fondé par Luz Santana and Dan Rothstein.

Yuhas, D. (2014). Curiosity Prepares the Brain for Better Learning. Article repéré sur le site du Scientific American magazine.