Oui! La créativité, ça s’enseigne!

La créativité est sur toutes les lèvres. Comme s’il s’agissait d’un nouveau concept, d’une découverte, d’un éclair de génie. Pourtant, même les plus sérieux, les plus crédibles en parlent…

En effet, l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), le Global Entrepreneurship Monitor (GEM) insistent tous trois sur l’importance de la créativité, sur l’urgence de la développer chez les jeunes. Car, alors que les avancées technologiques changent la face du marché du travail, que les ressources naturelles s’épuisent, que les changements climatiques menacent, que la population vieillit et que le taux de chômage mondial augmente, une certitude s’impose : il y a et il y aura toujours des problèmes à résoudre!

Devant ce constat, nous, gestionnaires d’une école, sommes convaincus que la créativité est une compétence indispensable. D’où l’importance de mobiliser pédagogues, enseignants, éducateurs, élèves et parents pour faire de notre établissement un lieu où la créativité individuelle et collective puisse se développer.

LA CRÉATIVITÉ, ÇA S’ENSEIGNE VRAIMENT?

Si nous pouvons aisément nommer les raisons et les contextes qui ont mené au constat mentionné ci-dessus, il est plus difficile de déterminer les sources de la créativité et les moyens concrets à mettre en place pour la développer et, ainsi, changer la culture de l’enseignement et de l’éducation dans l’école.

C’est à travers cette quête, à la recherche de pistes,de moyens que nous avons approfondi notre compréhension du concept de créativité. Il nous semble importantde présenter notre vision d’une pédagogie, d’une éducation qui laisse plus de place à la créativité. Mais d’abord, définissons ce concept!

QU’EST-CE QUE LA CRÉATIVITÉ?

eureka« Eurêka! » (mot d’origine grecque signifiant « j’ai trouvé! »), aurait crié Archimède après avoir découvert, dans sa baignoire, comment déterminer si une couronne que luiavait confiée un roi était en or pur. Il était tellement heureux de cet éclair de génie que, selon la légende,il serait sorti nu dans la rue.

Donc, la créativité n’est certainement pas un concept nouveau! Pourtant, le mot creativity n’est apparu que dans les années 1940, aux États-Unis. Au fil du temps, plusieurs définitions lui ont été attribuées:

  • « Une manière plus efficace d’être intelligent. Une intelligence divergente » (Guilford);
  • « Un phénomène biologique, une énergie intérieure, une liberté qui seraient altérés par l’imitation et les normes »;
  • « De l’efficacité inattendue » (Edward de Bono);« La créativité, c’est l’intelligence qui s’amuse » (Albert Einstein);
  • « La capacité de s’extraire de la manière conventionnelle de penser, de créer un nouveau concept en combinant deux idées ou plus qui n’apparaissent pas compatibles, et de s’extraire du contexte et voir au-delà de la représentation normale » (Sternberg & Lubart, 1999, cités par Mihov et al., 2010).

Les définitions plus récentes allient la créativité à la capacité de trouver une solution nouvelle, originale à un problème. Cela est vrai, mais la créativité consiste aussi en la capacité de créer une association d’idées originales.

Bien qu’elle soit plus souvent associée aux arts et, plus récemment, aux inventions technologiques, la créativité n’est cependant pas réservée qu’à ces domaines. D’ailleurs, par ses travaux, Dr Nancy C. Andreasen, professeure et chercheuse à l’université de l’Iowa, a démontré que le niveau de créativité constaté (et mesuré) dans le cerveau était similaire chez les scientifiques et les artistes. En réalité, la créativité se manifeste partout : en enseignement, dans le fait de trouver une nouvelle façon de présenter un concept aux élèves de sorte qu’ils aient envie d’en savoir plus; en affaires, dans le fait de trouver une nouvelle façon de convaincre les clients d’acheter un produit; en politique, dans le fait de trouver une nouvelle façon de relancer l’économie; en cuisine, dans le fait de combiner d’une nouvelle façon certains ingrédients; etc.

QUE DÉMONTRE LA RECHERCHE SUR LE CERVEAU ET LA CRÉATIVITÉ?

On peut s’interroger sur la provenance de la créativité.Est-ce un état inné? Une aptitude? Un talent? Peut-on développer sa propre créativité ou celle d’autrui?

Les recherches récentes sur le cerveau démontrent quesi la créativité dépend d’interactions entre plusieurs parties du cerveau, elle est principalement associée aux fonctions exécutives. Ces dernières dépendent du cortex préfrontal. C’est le développement de cette partie qui nous permet d’adapter des solutions à des problèmes et de sélectionner la stratégie adéquate en fonction des expériences passées. La créativité serait donc intimement liée à la capacité de faire des liens entre les choses. Pour y arriver, encore faut-il posséder un bagage de contenu, d’expériences et de vécu. Cette citation populaire de Steve Jobs vulgarise bien ce concept: « La créativité consiste juste à relier des choses entre elles. Si vous demandez à des gens créatifs comment ils ont fait quelque chose, ils se sentent un peu coupables, parce qu’ils ne l’ont pas vraiment fait, ils ont juste vu quelque chose. Qui leur a semblé évident au bout d’un moment.Ils ont fait ou créé des choses nouvelles, parce qu’ils ont su relier des expériences entre elles. Et la raison pour laquelle ils l’ont su, c’est qu’ils ont eu plus d’expériences, ou qu’ils ont plus réfléchi à leurs expériences que les autres. »

La créativité consiste aussi, pour le cerveau, à manipulerles images qu’il capture par l’intermédiaire des cinq sens, grâce à l’observation entre autres. Bien que certaines personnes semblent habiles avec cet exercice dès leur plus jeune âge (ex.: Picasso et Mozart), cette capacité peut être développée par un contexte social adapté et la motivation.

Dr Andreasen étudie l’aspect neurologique de la créativité. Elle a présenté et défini quatre grandes étapes au processus créatif, toutes associées à des actions neurologiques:

Préparation
L’accumulation d’un certain nombre de connaissances à partir desquelles les idées nouvelles pourront découler (plus le répertoire disponible est important, plus le nombre d’associations possibles sera élevé);

Incubation
La période calme pendant laquelle se font les connexions (la plupart du temps inconsciemment);

Inspiration
Le moment « eurêka »;

Production
La mise en pratique de l’idée géniale.

Par ses expériences, Dr Andreasen a pu démontrer que la phase d’incubation a lieu dans les zones appelées « cortex d’association » du cerveau. Pendant ces périodes de repos, ces zones ne sont pas « alimentées » par des stimulations extérieures; elles ne peuvent travailler qu’à l’association d’idées ou d’images intérieures.

D’ailleurs, les travaux de Richard Davidson sur des moines bouddhistes démontrent que la synchronisation de gamma dans les zones frontale, pariétale et temporale (communément appelées réservoir de créativité) était plus importante chez ce groupe en raison des séances de méditation répétées.

La créativité est donc à la fois innée et acquise, comme bien d’autres compétences. Certaines personnes naissent plus habiles à percevoir les choses, à faire des liens entre elles. Il est toutefois possible de développer notre cerveau, d’exercer nos sens, d’utiliser des techniques et des stratégies et de créer des contextes qui optimiseront notre potentiel créatif. En revanche, il est difficile, voire impossible de prédire ou prévoir la création de nouvelles idées, car le cerveau ne suit pas une évolution linéaire.

Une chose est certaine, et démontrée par les travaux du pr Lewis Terman, de Stanford, sur les Termites (des enfants précoces) : un QI élevé n’implique pas forcément une créativité élevée.

QUE PEUT NOUS APPRENDRE L’HISTOIRE SUR LA CRÉATIVITÉ?

Dans son livre The Creating Brain: The Neuroscience of Genius, Dr Andreason nous rappelle notre histoire:les grandes innovations y sont apparues à des moments précis, tandis que l’Homme est Homme depuisdes millions d’années. Par exemple:

  • en Grèce antique, quatre siècles avant J.-C., d’importantes innovations ont vu le jour dans le domaine de l’architecture (le Parthénon), la littérature et la philosophie;
  • au XVe siècle: la Renaissance;
  • dans la seconde moitié du XIXe siècle en France, sous l’impulsion d’importants travaux architecturaux à Paris, plusieurs courants artistiques (impressionnisme, pointillisme, cubisme…) ont vu le jour;
  • à la même époque, de nombreuses innovations technologiques ont donné naissance à la Révolution industrielle. Mentionnons, entre autres, aux États-Unis: l’invention du morse (Morse); le téléphone (Bell); l’ampoule, le phonographe et la batterie (Edison); la chaîne de montage (Ford).

Ces périodes de l’histoire correspondent à des périodes de paix, de grande euphorie, d’économie stable et de pérennité, de liberté de penser. On note donc que l’environnementjoue un grand rôle dans la capacité de l’Homme à créer.

Par ailleurs, si nous pensons à de grands créateurs, à des noms qui ont marqué l’histoire, nous remarquons que, dans la majorité des cas, ces personnes étaient des polymathes; leur bibliothèque interne s’avérait donc variée et riche, augmentant ainsi les possibilités de lier les choses entre elles et de faire des associations originales:

  • Léonard de Vinci: anatomie et sculpture
  • Churchill: politique et peinture
  • Einstein: science et musique
  • Antoine de Saint-Exupéry: écriture et aviation

COMMENT L’ÉCOLE,DANS SON FORMAT ACTUEL, NUIT-ELLE À LA CRÉATIVITÉ?

Lorsqu’on observe que beaucoup de génies créatifs ont quitté l’école tôt et sont autodidactes, on peut comprendre que l’école n’est pas un lieu dans lequel ils se sont épanouis.

Mais quelles sont ces choses qui inhibent la créativité naturelle des enfants et qui empêchent le développement de cette compétence à l’école? Dans son livre What I WishI New When I Was 20, Tina Seelig donne quelques exemples de règles qui s’appliquent à l’école, mais qui diffèrent de celles du monde réel:

  • en classe, les élèves sont évalués individuellement et classés les uns par rapport aux autres, autrement dit, quand quelqu’un gagne, quelqu’un d’autre perd; en entreprise, les personnes travaillent en équipe dans le but de faire gagner tout le monde;
  • en classe, l’enseignant enseigne une liste de thèmes à des élèves qui absorbent cette liste dans le seul but d’être testés en fonction de cette liste précise; dans la vie réelle, les problèmes sont illimités et non prédits, la source d’information disponible, inépuisable et infinie, et on ne peut compter que sur soi-même pour apprendre;
  • à l’école, l’échec est rarement apprécié et pour des questions pratiques, les tests sont uniformisés et les réponses attendues, uniques; voilà qui, encore une fois, est à l’inverse de la vie réelle.

Finalement, les enfants apprennent à éviter les problèmes, alors qu’ils sont LA source du progrès. On ne leur présente d’ailleurs que des problèmes déjà résolus, tandis que dans la vie, ils font et refont face à des problèmes non résolus.

Il est vrai que la créativité demeure difficile à mesurer à l’école, et ce qui ne se mesure pas n’est pas valorisé. Il en est de même pour l’estime de soi et la collaboration… pourtant une importante compétence pour l’adulte que l’élève deviendra.

Il est en outre évident que « gérer » un groupe d’élèves créatifs est bien plus complexe que « gérer » un groupe d’élèves conformes et semblables. En 1995, Westby & Dawson ont d’ailleurs démontré que les élèves créatifs n’étaient pas toujours appréciés des enseignants.

Notons aussi que la standardisation des classes, des tests, des savoirs à acquérir, des uniformes et des horairesd’apprentissage atténue peu à peu le capital créatif existant dans la population d’élèves. Comme précisé plus tôt, les attitudes créatives ne sont pas reconnues et encoremoins encouragées à l’école.

D’autre part, que dire des enfants nés créatifs, mais dont l’environnement est totalement dépourvu d’encouragement ou d’épanouissement de cette capacité par des activités stimulantes ou une attitude bienveillante?

Malheureusement, et comme cela est maintenant démontré, les qualités ou compétences intellectuelles qui ne sont pas exercées/entretenues/utilisées sont détruites.

Partant, quel potentiel créatif avons-nous perdu, gâché jusqu’à aujourd’hui? A côté de quelle grande découverte, de quelle œuvre d’art, de quelle solution économique ou politique sommes-nous passés à cause de cela?

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QUELS MOYENS PEUT-ON METTRE EN PLACE POUR DÉVELOPPER LA CRÉATIVITÉ DES ÉLÈVES?

Intégrer la « pensée divergente » en parallèle à la « pensée convergente » (exercice où la réponse n’est pas unique) tant chez les élèves que chez les membres du personnel. Embaucher des enseignants créatifs et aux expériences variées;

Impliquer les membres du personnel dans les résolutions de problèmes à l’aide de techniques de créativité et de modèles de collaboration;

Continuer de développer les savoirs dans de nombreux domaines afin de générer un large répertoire, d’encourager le développement des « esprits universels » qui apprécient les sciences aussi bien queles arts. Se doter d’une maquette de cours variée mais actuelle;

Ne pas spécialiser les enfants trop tôt dans un domaine et continuer de les exposer à divers sujets le plus longtemps possible;

Favoriser le bilinguisme: Cushen & Wiley (2011) ont démontré que les personnes bilingues avaient une plus grande facilité à « penser en dehors de la boîte »;

Offrir un niveau modéré de contraintes: Joyce (2009) a trouvé que trop ou pas assez de contraintes pouvaient tuer la créativité;

Assurer un environnement sain et sécurisant pour les élèves (Probst et al., 2007), où les espaces facilitent les pratiques pédagogiques et le plaisir d’apprendre: ouverts, lumineux et aux couleurs paisibles,mobiles, polyvalents, comportant de nombreux lieux d’affichage et des endroits pour la détente, les sports et les loisirs;

Développer une culture sociale où la créativité est reconnue; valoriser aussi le non quantifiable.

EN CLASSE

  • Ne pas imposer la planification de l’issue; proposer des méthodes et non pas des réponses;
  • Instaurer des moments de calme et d’inaction pour générer ce travail inconscient d’association d’idées;
  • Apprendre aux élèves à « observer » à partir des cinq sens afin d’augmenter la bibliothèque d’images disponibles dans leur cerveau;
  • Laisser place à la contradiction, au désaccord exprimé par l’élève; laisser place à des idées différentes;
  • Encourager la prise de risqueset autoriser l’erreur;
  • Exercer l’esprit à faire des connexions;
  • Développer le growth mindset, notamment en uniformisant les modes d’appréciation des élèves (féliciter le travail et la persévérance plutôt que la personne);
  • Couvrir toutes les étapes du processus de créativité, et ce, jusqu’à la production.

Nos élèves du primaire entreront sur le marché du travail en 2036. Nous ignorons bien sûr quels métiers caractériseront 2036, mais une chose est certaine: il y aura encore des problèmes à résoudre et des solutions à trouver! Par conséquent, autant les recommandations économiques sont importantes, autant la créativité s’avère une compétence utile à acquérir.

ALORS, LA CRÉATIVITÉ PEUT-ELLE S’ENSEIGNER?IL EST CLAIR QU’ON NE PEUT ENSEIGNER LA CRÉATIVITÉ COMME ON A ENSEIGNÉ LES MATHS OU LE FRANÇAIS JUSQU’À PRÉSENT; PAR CONTRE, ON PEUT COMMENCER À ENSEIGNER LES MATHS ET LE FRANÇAIS DE SORTE À DÉVELOPPER LA CRÉATIVITÉ CHEZ NOS ÉLÈVES.
POUR CELA, SOYONS CRÉATIFS!