Un monde en changement

Changement : le mot est lâché depuis quelques années déjà dans le milieu de l’éducation. Le monde est en mutation, l’avenir de nos jeunes assis sur les bancs d’école devient imprécis. Comment y faire face ? En s’adaptant, en éduquant les jeunes afin qu’ils puissent se tailler une place dans cet univers en mouvance.

Pourtant, alors que le marché du travail est en constante évolution, que de nouveaux métiers voient le jour — 65 % des métiers de la prochaine décennie n’existent pas aujourd’hui —1, que de nouvelles conditions s’installent 1 rapidement, le milieu de l’éducation, lui, ne se transforme que très lentement. Admettons-le, l’école d’aujourd’hui n’est pas si différente de celle du début du siècle.

Pourquoi le monde de l’éducation résiste-t-il autant au changement ? Les réponses sont nombreuses. Parfois simples, parfois complexes. Chose certaine, dans le milieu de l’éducation plus que dans tout autre, la mobilisation vers le changement n’est possible que si le besoin est reconnu par l’ensemble des acteurs. Si le renouveau pédagogique n’a pas reçu l’accueil souhaité il y a 10 ans, aujourd’hui, les besoins sont clairs. Non, ils sont criants. Les changements ont eu lieu ; ils se manifestent de plus en plus rapidement. Les acteurs du milieu de l’éducation le constatent : les méthodes traditionnelles ne fonctionnent plus. Les jeunes apprennent et réagissent différemment ; ils questionnent, argumentent, perdent vite l’intérêt pour des tâches dont ils ne reconnaissent pas la pertinence.

LA FAUTE DES TECHNOLOGIES

Les technologies sont à la base des changements rencontrés. Elles ont modifié les habitudes de travail, les modes de communication et même les cerveaux des jeunes élèves. On observe depuis quelques années une croissance exponentielle de l’utilisation des technologies dans diverses facettes de la vie courante. En 2014, dans les maisons du Québec, 99,4 % des 18-34 ans utilisaient Internet régulièrement2. De plus, les technologies évoluent rapidement. En dix 2 ans, nous avons assisté à une augmentation fulgurante des sites Web, à l’essor des applications téléchargeables et à la montée en puissance de l’informatique dématérialisée. Peut-on alors s’étonner que nos jeunes ne se reconnaissent plus dans le modèle de l’école actuelle, pensé à l’époque de l’industrialisation ?

Le milieu du travail

Dans le milieu du travail, cette hausse est aussi très importante. Dans les pays nordiques, par exemple, l’utilisation d’ordinateurs en milieu de travail est passée de 46 % à 98 % entre 2005 et 2011. Pourtant, dans les pays de l’OCDE, le ratio d’ordinateurs est passé de 0,08 à 0,13 par élève pour la même période3. Une augmentation bien minime comparativement à celle du milieu du travail. Comment les écoles peuvent-elles alors prétendre préparer adéquatement les élèves à leur avenir professionnel ?

En effet, les technologies ont modifié les méthodes de travail ainsi que la nature des tâches à accomplir. Certaines tâches appartenant autrefois à la main humaine ont été relayées à l’ordinateur, alors que de nouvelles tâches complexes ont vu le jour. Ainsi, le concept d’efficacité lui-même a été redéfini. Il se définit moins par la capacité à faire que par celle à trouver comment faire mieux. Le développement des technologies élargit donc le monde des
possibles.

L’accès à l’information

Un des changements les plus cités en lien avec le développement technologique et la création du Web est l’accès à l’information — ou plutôt à une surabondance d’information. Les contenus de tous types accessibles dans Internet se multiplient. Dorénavant, l’important n’est plus de mémoriser des connaissances, mais de savoir trouver l’information, la valider, reconnaître les bonnes sources et relier les informations entre elles4. Ce changement de paradigme touche directement le rôle de l’enseignant et la façon dont il doit répondre aux questions fondamentales en enseignement. Que doit-on enseigner ? Pourquoi l’enseigner ? Comment le faire ? Il y a dix ans, alors que les technologies faisaient timidement leur entrée dans les écoles, certains craignaient que celles-ci ne les déshumanisent, que l’ordinateur et le Web ne remplacent l’enseignant. Rien n’est plus faux. L’enseignant de demain, créatif, expert de l’apprentissage et du numérique, est plus indispensable que jamais.

Les modes de communication

Depuis l’arrivée des technologies de l’information et des communications, nous avons assisté à un accroissement des modes de communication numériques. Non seulement les communications sont-elles plus nombreuses, mais elles se révèlent plus rapides, plus efficaces et plus instantanées. Nous voyons un nouveau langage se créer, de nouvelles compétences se développer. Ainsi faut-il connaître les conventions d’usage d’un tel réseau social, reconnaître les symboles et acronymes qui rendent plus rapides encore les échanges. Au texte se joignent l’image, la vidéo. On partage des expériences, des contextes, du vécu. On voit naître de nouveaux types de relations entre humains ; les frontières et la distance ne sont plus des obstacles, on vit des amitiés virtuelles. Le réseautage devient une compétence essentielle.

En 2015, 80,4 % des 18-44 ans possèdent un appareil intelligent et fréquentent les réseaux sociaux5. Les échanges de courriels sont déjà dépassés. D’ailleurs, en France, un tiers des jeunes n’a jamais envoyé de courriel6. Le tableau plus bas montre l’évolution vertigineuse des modes de communication et des usages courants du Web.

Augmentation de l’utilisation de certains outils Web entre 2013 et 2014

Tweets: 24,78 %
Recherches Google: 1,9 %
Instagram: 76,31 %
Pinterest: 25,92 %
Facebook: 29,92 %
Téléchargements YouTube: 197 %
Téléchargements AppStore: 35,6 %
Envoi courriel : 7,3 %

La mondialisation des marchés

L’ouverture et le déploiement des modes de communication ont occasionné le phénomène de la mondialisation des marchés. Ainsi, la concurrence est devenue internationale ; le terrain de jeu des entreprises est le monde.

Cela explique l’importance accrue et grandissante qu’accordent les entreprises à la recherche et au développement. Sur le plan international, le nombre de chercheurs a triplé entre 1996 et 20108. En Chine, par exemple, la demande de brevets est passée de 52 000 (2000) à 391 000 (2010), permettant au pays de rejoindre les États-Unis et le Japon dans ce domaine. Dans un contexte où la survie d’une entreprise dépend de sa capacité à innover et à se démarquer, la créativité est la compétence la plus importante que doivent posséder nos futurs travailleurs. D’ailleurs, les derniers rapports de l’OCDE le confirment : la créativité est la compétence clé du futur. Or, selon Ken Robinson et Keith Sawyer, professeurs américains reconnus pour leurs recherches sur la créativité en éducation, l’« école, dans son format actuel, tue la créativité ». Rien de moins!

Une nouvelle réalité émerge tout doucement, et le message se transmet des entreprises aux écoles ; la diplomation n’a plus autant de valeur que la compétence et l’expérience variée. Parmi ces compétences, la créativité et la pensée entrepreneuriale semblent en tête de liste. Mark Zuckerberg, Bill Gates et Steve Jobs n’ont pas terminé leurs études universitaires. Ils sont néanmoins des références de réussite dans leur domaine respectif. L’école doit donc être en mesure de développer les talents, stimuler les pensées divergentes et motiver les élèves ne disposant pas d’un profil scolaire traditionnel.

La spécialisation

Parallèlement à l’évolution des technologies se sont développés des domaines de spécialisation de fine pointe. Ainsi, les besoins des entreprises sont de plus en plus variés et spécifiques, entraînant une augmentation des statuts d’emploi à temps partiel et des mandats contractuels. Par exemple, aux États-Unis, 44 % des 21-32 ans sont des travailleurs autonomes ou sur appel, une tendance à la hausse9 . Cette nouvelle réalité exige des futurs travailleurs qu’ils soient plus autonomes et développent eux-mêmes leur propre entreprise. Au Québec, cette statistique est dangereusement basse. En 2015, les entrepreneurs constituent 7,9 % de la population . La pensée 10 entrepreneuriale, la prise de décisions, voilà des compétences qui deviendront indispensables pour nos jeunes et qu’il nous faut développer de façon urgente.

LA TECHNOLOGIE ET LES JEUNES

Les jeunes, à l’opposé des adultes, n’ont pas vécu le passé technologique. Ils n’ont pas assisté à l’évolution du monde numérique. Ils vivent dans le « maintenant » virtuel. Ainsi, ils pensent réseaux sociaux, YouTube, applications, nuagique, etc. Ils ne voient pas le Web uniquement comme un endroit où trouver du contenu, mais aussi, et surtout, comme un endroit où publier et partager. Ils sont des pros de la communication instantanée. D’ailleurs, 87 % des jeunes de la génération C affirment : « Mon appareil ne me quitte jamais, même la nuit. » Autre fait intéressant : 50 % des textos sont échangés entre 9 h et 17 h par les jeunes, donc pendant les heures de cours11 ! Nous pouvons dès lors nous demander quels sont les effets des technologies sur les façons d’apprendre et sur le cerveau de cette génération d’élèves.

Les recherches les plus récentes en neuroscience montrent que les cerveaux des générations Y et C, en raison de la plasticité de l’organe, se sont déjà adaptés aux technologies. Ils apprennent différemment. Par exemple, la mémoire, pouvant compter sur des serveurs externes, traite les informations de façon superficielle. En fait, les jeunes qui écrivent en mode texto pensent en mode texto : ils approfondissent moins, mais associent davantage les idées entre elles12. L’influence des jeux vidéo est aussi non négligeable : leur pratique augmente en effet les capacités à se repérer dans l’espace, la réactivité et la coordination main-œil.

Les jeunes des générations Y et C sont mieux armés pour affronter ce monde de vitesse. Ils sont plus réactifs, plus créatifs et plus aptes à prendre des décisions. Les acteurs du monde de l’éducation doivent impérativement tenir compte de ces nouvelles réalités et envisager une pédagogie qui met à profit les grandes forces des élèves et qui saura pallier leurs lacunes cognitives.

LES CHANGEMENTS EN ÉDUCATION

Alors que nous constatons et comprenons l’ampleur des changements qui se manifestent devant nous, quelles directions doivent prendre les innovations en éducation ?

Manifestement, nous avons la responsabilité de préparer les jeunes aux enjeux réels qui les attendent. Dans l’incertitude quant au monde de demain, il faut à tout le moins les former à devenir des apprenants autonomes.

Je partagerai ici ma réflexion personnelle sur les changements à adopter, élaborée dans le cadre de la création du modèle du cours de demain au Collège Sainte-Anne, réalisée en compagnie de collègues enseignants.

Les systèmes, les écoles et leurs dirigeants doivent…

  • offrir des environnements hautement technologiques ;
  • créer des partenariats avec l’entreprise privée afin d’offrir des environnements à la fine pointe de la technologie et des contextes réels qui permettront aux élèves de développer les compétences clés : créativité, collaboration, sens critique ;
  • offrir des programmes et des parcours individualisés afin de maximiser le potentiel des jeunes et d’augmenter la motivation ;
  • développer une culture essai-erreur ;
  • développer la pensée entrepreneuriale ;
  • investir dans la recherche et le développement.

L’enseignement doit…

  • être basé sur une pédagogie active, engageante pour l’élève ;
  • tenir compte de la réalité technologique et intégrer les outils technologiques au service de l’apprentissage ;
  • favoriser la multidisciplinarité ;
  • faire de l’élève un apprenant pour la vie ;
  • permettre, chez l’élève, le développement des compétences suivantes : créativité, collaboration, sens critique.

Les enseignants doivent…

  • Reconnaître leur nouveau rôle de guide à l’apprentissage et des compétences qui l’accompagnent ;
  • Être hautement qualifiés dans les domaines de l’apprentissage et des technologies ;
  • S’engager dans un processus de développement continu.

Selon moi, tels sont les défis que devront relever les acteurs du monde de l’éducation. Une chose est certaine : il n’y aura pas de retour en arrière cette fois. Les institutions d’enseignement et d’éducation ne peuvent plus être les milieux traditionnels qu’ils ont toujours été. Elles doivent s’adapter et changer, rapidement, ou elles cesseront d’exister.

Isabelle Senécal, directrice de l’enseignement, de l’innovation pédagogique et du développement international, Collège Sainte-Anne

 

  1. http://fr.slideshare.net/kleinerperkins/Internet-trends-v1 utm_source=digg
  2. https://twitter.com/NormandBrodeur/status/582217804289421312
  3. Les grandes mutations qui transforment l’éducation, OECD publishing
  4. Citations de Martin Lessard
  5. https://twitter.com/NormandBrodeur/status/582217804289421312
  6. http://fr.slideshare.net/kleinerperkins/internet-trends-v1?utm_source=digg
  7. http://fr.slideshare.net/kleinerperkins/internet-trends-v1?utm_source=digg
  8. Les grandes mutations qui transforment l’éducation, OECD publishing
  9. http://fr.slideshare.net/kleinerperkins/internet-trends-v1?utm_source=digg
  10. http://www.entrepreneurship.qc.ca/indice2015
  11. http://fr.slideshare.net/kleinerperkins/internet-trends-v1?utm_source=digg
  12. http://www.paristechreview.com/2013/11/07/apprentissage-neurosciences/